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La lutte contre les mariages de complaisance ou l’émotive course aux armements du gouvernement

Dans les jours à venir, le nouvel arsenal législatif visant à renforcer la lutte contre les mariages simulés et à étendre celle-ci aux cohabitations légales de complaisance entrera en vigueur. La déclaration de politique générale ne faisait d’ailleurs pas mystère des intentions du gouvernement au mois de novembre dernier. En cause ? Les chiffres annoncés par l’Office des étrangers dans son rapport d’activités 2011, largement répandus dans la presse du pays, qui recense 10.728 mariages dits « suspects » enregistrés cette année-là[1]. Ces chiffres distinguent les mariages conclus à l’étranger à la suite desquels une demande de regroupement familial ou de transcription du mariage a été introduite auprès des autorités belges, et les mariages prévus en Belgique.

On comprend qu’un tel chiffre interpelle a priori. Encore faut-il savoir à quoi il se rapporte. Le rapport annuel de l’Office des étrangers annonce qu’il s’agit du nombre de dossiers pour lesquels cette administration a effectué une enquête. Cette statistique ne rend donc pas compte du nombre de mariages de complaisance effectifs ou de tentatives de conclure un tel mariage sur une période déterminée. Pour cause, une telle donnée n’existe pas. Et même si elle existait, elle devrait être mise en perspective avec un nombre total de mariages célébrés à l’étranger qui concernent l’ordre juridique belge et un nombre total de mariages prévus en Belgique sur une année de référence. Cette analyse n’intègre en outre pas les recours judiciaires introduits contre des refus de célébration du mariage en Belgique ou des refus de reconnaissance du mariage célébré à l’étranger. La condamnation des autorités belges pour de tels refus est pourtant fréquente. Ces nombreux jugements ne sont pas recensés, alors qu’ils relativisent, voire invalident, le chiffre annoncé plus haut.

D’autres chiffres font état d’un classement de la fraude selon les communes. Certaines d’entre elles, selon cette analyse, attireraient davantage les fraudeurs au mariage. Pourtant, là aussi, les statistiques sont difficilement interprétables. Ces chiffres peuvent en effet être biaisés par la présence plus ou moins importante d’une population d’origine allochtone dans ces entités.  De même, les refus de célébration de mariage par commune peuvent tout autant exprimer des degrés de suspicion et des approches différentes de la lutte contre les mariages frauduleux  entre les officiers de l’état civil.

Ces chiffres ne recouvrent donc pas une réalité objective. Au contraire, les praticiens se rejoignent souvent pour constater un déficit réel d’analyses qui ne permet pas d’évaluer l’importance de la fraude au mariage. Un tel manque de données précises est ainsi confirmé au niveau européen dans le livre vert publié par la Commission en 2011[2].

Une chose est en revanche incontestable.  La mission de l’officier d’état civil, compétent pour célébrer ou refuser le mariage, est complexe. Il doit garantir le droit absolu au mariage, comme le reconnaît la Convention européenne des droits de l’homme ou notre Constitution, tout en assumant sa mission de contrôle de l’intention des futurs conjoints de créer un projet de vie commune. Selon le Code civil, il n’y a en effet pas de mariage lorsqu’il résulte d’une combinaison de circonstances que l’intention de l’un au moins des époux n’est manifestement pas la création d’une vie durable, mais uniquement l’obtention d’un avantage en matière de séjour. C’est un examen qu’il doit faire en amont, avant la célébration du mariage ! Préjuger du projet de vie commune des fiancés n’est donc pas chose aisée. Pour ce faire, des outils ont été confiés aux communes.

Une circulaire qui date déjà de 1999 énumère différents indices, dont la combinaison de plusieurs d’entre eux peut constituer une indication sérieuse que l’on se trouve face à un mariage de complaisance : les futurs conjoints ne se comprennent pas, un intermédiaire les accompagne, il existe une grande différence d’âge, les circonstances de la rencontre sont floues,…  L’officier de l’état civil peut pour cela se fonder sur des déclarations, des auditions ou sur des enquêtes complémentaires qu’il mènera en cas de doute sur le projet de mariage. Il reçoit également l’appui de l’Office des étrangers, du parquet, ainsi que des services de police.

Ces procédures –alors même qu’elles n’ont jamais été évaluées- ont semblé insuffisantes aux yeux du législateur puisque la réforme votée à la Chambre souhaite encore intensifier la lutte en permettant d’accroître le délai des enquêtes ou en renforçant les sanctions pénales qui pourront courir de trois à cinq ans de prison en cas de condamnation. A titre d’exemple, ces sanctions extrêmement lourdes sont plus sévères que celles réservées lors d’une condamnation pour attentat à la pudeur ou pour mariage forcé.

Par ailleurs, le législateur compte étendre la lutte contre les mariages de complaisance aux cohabitations légales ayant uniquement pour objet d’octroyer un avantage en matière de séjour à l’un des partenaires. Les partisans de cette mesure arguent en effet que la cohabitation légale est la faille d’un système par laquelle s’introduit un nombre important de fraudeurs. Pourtant, les cohabitants légaux, dont l’un sollicite un droit de séjour en Belgique sur cette base, doivent déjà prouver qu’ils cohabitent depuis un an, qu’ils ont un enfant en commun ou qu’ils entretiennent une relation affective depuis deux ans, etc[3].  

Le danger qui se dessine en filigrane devant une approche trop radicale, voire parfois trop émotive, est celui d’une suspicion quasi-automatique de tout couple mixte qui nourrit le projet de se marier ou de vivre ensemble en Belgique. Ces couples témoignent en effet souvent d’un sentiment de suspicion généralisée à leur encontre. Par ailleurs, les pratiques des administrations sont disparates et la lutte n’est pas menée de la même manière dans toutes les communes de Belgique, ce qui est  source de confusion et porte potentiellement atteinte à la sécurité juridique. Le pouvoir exécutif n’a pas tenu compte de ces préoccupations dans l’élaboration de sa réforme, ce qui est regrettable. Une réflexion globale tenant compte de tous les enjeux et donnant la parole aux différents acteurs aurait dû guider le travail du législateur. Il reste à espérer que, dans la mise en œuvre de la réforme, par voie d’arrêté ou par circulaire, le gouvernement sera davantage sensible aux craintes légitimes que suscite ce nouveau texte.

Bruno LANGHENDRIES, juriste ADDE a.s.b.l.

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[1] Office des étrangers, Rapport d’activités 2011, https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Documents/2011%20FR.pdf.

[2] Livret vert de la Commission européenne relatif au droit au regroupement familial des ressortissants de pays tiers résidant dans l’Union européenne (Directive 2003/86/CE), 2011, COM(2011) 735 final, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0735:FIN:FR:PDF

[3] Art. 10, §1er, °5 et 40bis, §2, 3° de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.